Joseph LAKANAL (1762-1845)

portrait Joseph LAKANAL, homme politique français, né à Serres (Ariège) le 14 juillet 1762, mort à Paris le 17 février 1845. Destiné à la carrière ecclésiastique et de l'enseignement, il entra chez les Pères de la Doctrine Chrétienne et fut successivement régent de cinquième, de quatrième, de troisième, de seconde et de rhétorique à Lectoure, Moissac, Gimont, Castelnaudary et Périgueux. Reçu docteur es arts à l'université d'Angers, il professa la rhétorique au collège de Bourges, et il occupait depuis quatre ans la chaire de philosophie à Moulins lorsque éclata le Révolution.

le Conventionnel Lakanal

   Nommé en 1792 député de l'Ariège à la Convention Nationale, il siégea sur les bancs de la Montagne. Il s'exprima ainsi dans le procès de Louis XVI :"Un vrai républicain parle peu; les motifs de ma décision sont là, dit-il en portant la main sur son cœur; je vote pour la mort." Il rejeta le sursis ainsi que l'appel au peuple en ces termes :"Si le traître Bouillé, le fourbe Lafayette et les intrigants ses complices votaient sur cette question, ils diraient Oui; comme je n'ai rien de commun avec ces gens là, je dis Non".

   Peu après, il fut envoyé en mission avec Mauduit dans les départements de Seine-et-Marne et de l'Oise. Le 24 mars 1793 il vint rendre compte à la Convention des recherches faites au château de Chantilly, de la découverte de sommes d'or et d'argent, de diverses correspondances établissant les dépenses du livre rouge, "des plans secrets des campagnes de ce brigand illustre connu sous le nom de Grand Condé", d'ouvrages manuscrits de Louis XV et d'autres pièces. Il demanda que la Convention chargeât quelqu'un de ses membres d'aller prendre possession de ces richesses et de ces papiers.

   Envoyé dans le département de la Dordogne comme commissaire, Lakanal y créa une manufacture d'armes et y fit percer des routes révolutionnairement, c'est à dire en y faisant travailler les habitants.

l'œuvre législative de Lakanal

   Membre du Comité de l'Instruction Publique avec Daunou, Sieyès, Grégoire, Chénier, Boissy d'Anglas, Thibaudeau, Mercier, Massieu, David et autres, Lakanal fit adopter le 22 mai 1793 un décret qui réglait le traitement des membres de l'Académie des Sciences de Paris.
    Dans la séance du 31 mai, il fit décréter que les noms des villes qui "rappelaient des institutions féodales et, perpétuant cet odieux souvenir, souillaient la langue des Français libres, devaient disparaître avec leurs tyrans".
    Quelques jours après, il fit rendre un décret qui punissait de deux ans de fers, quiconque dégraderait les monuments des arts, et un autre qui ouvrait un concours pour la composition des livres élémentaires.
    Dans la séance du 18 juin, Lakanal fit un rapport sur les Écoles Militaires, signalant celle de Paris comme " un des monuments les plus odieux élevés par le despotisme à l'orgueil et à la vanité". 
    C'est sur son rapport que, le 19 juillet, la Convention rendit le décret relatif à la propriété des auteurs d'écrits en tous genres, des compositeurs de musique, des peintres et dessinateurs; c'est encore sur son rapport que Chappe, inventeur du télégraphe, reçut le titre d'ingénieur aux appointements de lieutenant du Génie et que l'établissement de la première ligne télégraphique fut décidé.
    Nommé secrétaire de la Convention le 21 août, il fit remettre en vigueur les lois de 1791 relatives aux ouvrages dramatiques.
    Le 18 avril 1794, il fit décréter l'érection au Panthéon d'une colonne dédiée aux vainqueurs du 10 août 1792.
    Dans la séance du 16 septembre, il soumit à la Convention le programme de la fête funèbre pour le transport les cendres de Jean-Jacques Rousseau au Panthéon.
    Sur sa proposition, le 18 novembre 1794 la Convention décrète la fondation de 24 000 écoles primaires. En 1795, il fit voter l'organisation des Écoles Normales et un projet d'instruction publique. Il y développe les idées chères aux idéologues sur l'enseignement : "l'analyse seule, déclare-t-il, est capable de recréer l'entendement, et la diffusion de sa méthode détruira l'inégalité des lumières".
    Il fit aussi autoriser, aux frais du gouvernement, l'impression d'une traduction des œuvres de Bacon trouvée dans les papiers d'un condamné du 9 thermidor et d'un traité sur les moutons par Daubenton. Il contribua à la création des Écoles Centrales et fit à la Convention un rapport sur l'établissement d'une École Publique des Langues Orientales vivantes.
    On lui doit aussi la conservation du Jardin des Plantes qu'il fit réorganiser sous le nom de Muséum d'Histoire Naturelle.
    En août 1795, il prononça plusieurs discours sur la manière de remplacer et de désigner le tiers qui devait sortir de l'Assemblée. Le 7 octobre, il proposa, pour achever de détruire le royalisme, de démolir le Palais - Royal, où se réunissaient les agioteurs qui décriaient les assignats, et d'élever sur ses ruines la statue de la Liberté; il accusa les sections de n'avoir pas secouru l'Assemblée dans les journées des 13 et 14 vendémiaire et demanda le désarmement de cette milice, l'expulsion de Paris de tous ceux qui n'habitaient pas cette ville avant 1789 et la formation d'une garde spéciale pour le corps législatif.
    Réélu au Conseil des Cinq Cents, Lakanal fit arrêter que le serment de haine à la royauté serait signé individuellement par chaque représentant et déposé aux archives. Dans la même session, il présenta le règlement de fondation d'un Institut National et proposa la liste des membres qui devaient en former le noyau et le compléter par des élections. Ce corps savant contenait trois classes : la première s'occupait des sciences physiques et mathématiques, la seconde des sciences morales et politiques, la troisième de la littérature et des beaux-arts. Lakanal fut élu membre de la deuxième classe dont il devint secrétaire. Peu après, Lakanal fit adopter le règlement contenant organisation définitive de l'Institut. Il fit en outre décider que l'observatoire situé au collège Mazarin serait mis à la disposition du Bureau des Longitudes.
    " Député à la Convention Nationale, dit M. de Rémusat, Lakanal s'est uni à toutes les pensées de cette assemblée. Au milieu de ces crises orageuses, il songea aux intérêts des Lettres et des Sciences. Il s'efforça, bien souvent en vain, d'arracher à la mort ces hommes dont le savoir et les talents illustraient leur pays et ne le désarmaient pas. Il lutta obstinément contre une barbarie systématique qui menaçait nos arts, nos monuments nationaux, nos grands établissements d'éducation."

le Consulat et l'Empire : "la traversée du désert"

    Nommé à deux reprises, en 1798, député par le département de Seine-et-Oise, il refusa cet honneur. L'année suivante, il fut envoyé à Mayence en qualité de commissaire pour organiser les nouveaux départements réunis à la France.
     
    Il fut rappelé après le 18 brumaire et resta sans emploi, quoique le Premier Consul lui eût écrit : " Les services importants que vous avez rendus à tant d'hommes distingués vous mériteront dans tous les temps des droits à l'estime des hommes. Vous pouvez compter sur le désir que j'ai à vous en donner des preuves."

    Après avoir été chargé de l'approvisionnement des places fortes des bords du Rhin, de l'établissement de la Manufacture d'Armes de Bergerac, d'un dépôt de quatre mille chevaux dans cette ville, de la navigation du Drott (sic), de l'installation de 19 Écoles Centrales dans les départements, Lakanal était resté pauvre. Rentré dans la vie privée, il accepta la chaire de langues anciennes à l'École Centrale de la rue Saint-Antoine, et fut plus tard attaché au lycée Bonaparte comme économe. En 1809, il devient Inspecteur des Poids et Mesures; il prépare une édition des œuvres de Rousseau et rédige un traité d'économie politique.

    l'exil aux États-Unis

    Après la bataille de Waterloo, s'attendant bien à être proscrit par la Restauration, Lakanal fit d'avance ses préparatifs de départ. Il assista encore à une réunion de patriotes qui eut lieu chez Barras, la veille de la capitulation de Paris. Plusieurs plans furent proposés pour repousser l'invasion; toujours l'argent manquait. Lakanal portait sur lui une somme modique, "qui était pourtant, dit M. Lélut, toute sa fortune, tout ce qui devait l'aider dans l'exil; il l'offrit pour l'exécution des projets qui étaient en délibération, et qui n'eurent d'autre résultat que celui d'avoir fait naître cette offre généreuse." Lakanal se retira aux États-Unis d'Amérique. Bien reçu par Jefferson, il obtint du Congrès américain cinq cents acres de terre à coton.

    "Au lieu de partager, ajoute M. Lélut, les illusions et les loisirs peut-être un peu chevaleresques des illustres proscrits du Champ d'Asile, Lakanal prit le seul parti qui pût le conduire à une indépendance en harmonie avec ses principes. Il se fit colon, planteur, pionnier. Je lui ai souvent entendu raconter sa vie de plusieurs années au milieu des tribus sauvages de l'Alabama, ses relations de bon voisinage avec les descendants des premiers maîtres du Nouveau Monde. 
    Il quitta cette société pour accepter  l'offre qui lui fut faite, et qui convenait à ses anciens goûts, de la Présidence de l'Université de la Louisiane à La Nouvelle-Orléans. Il remplissait les devoirs de cette charge lorsque la révolution de 1830 rouvrit aux grands proscrits de 1815 les portes de la France. Lakanal ne se détermina pourtant pas encore à quitter le pays qui était devenu sa seconde patrie."

le retour

    Il revint en 1833. Il n'avait pas été porté parmi les anciens membres de l'Institut réunis par ordonnance royale pour former la nouvelle Académie des Sciences morales et politiques, réorganisée en 1832; mais en 1834, il fut réélu à la place que le décès du Comte Garat laissait vacante. 

la fin

Assidu aux séances de cette Académie, il y vint encore par un froid rigoureux à la fin de 1844 et fut saisi d'une maladie qui l'emporta.
    "La veille même de sa mort, raconte M. Lélut, et sentant bien qu'elle était prochaine, il me disait, en me citant quelques belles paroles de Saint-Augustiin, qu'il allait chercher le mot d'une grande énigme, confiant en la Providence, n'ayant rien à renier de son passé. Il s'éteignit comme un sage et un juste, sans secousses, sans violence, sans agonie, sans douleur."
    M. Charles de Rémusat ajoute : "Ses mœurs étaient simples, son caractère stoïque, ses convictions inébranlables. Invariablement fidèle aux souvenirs et aux pensées de sa jeunesse, son inflexible esprit avait résisté à toutes les épreuves... Sa vieillesse était sereine; il aima jusqu'au dernier jour son pays, ses amis, les lettres, et quand le terme est venu, il a vu la mort sans crainte et sans regret."
    Peu d'heures avant d'expirer, il disait à un de ses confrères : "Je vais paraître les mains pures devant cette Providence que je ne comprends pas, mais que je sens."
    Lakanal mourut pauvre, laissant une femme et un jeune enfant.

Moréri - Dictionnaire historique
      Encyclopædia Universalis